Chroniques de l’abolition de l’esclavage à la Réunion
« -Comment voulez-vous donner leur liberté à ces pauvres bougres ? On les a arrachés à leur terre africaine, ils sont encore de vrais sauvages, et on voudrait en faire des citoyens ? C’est absurde.
-Qui voudrait en faire des citoyens, M.Bellier ?
-Grand-Patte, tu n’es au courant de rien ? Il y a eu une révolution en France. Le Roi est parti, c’est la République. Tu sais ce que ça veut dire, la République ?
-Ils vont abolir l’esclavage ? »
Edmond est esclave sur l’île de la Réunion. C’est un petit génie qui ne connaît pas la liberté. Il est au service de l’homme blanc, l’homme soi-disant civilisé. Edmond est un petit génie parce qu’il a découvert le moyen de féconder la vanille. Il suffit d’ouvrir la fleur pour dégager la corolle, la retrousser pour trouver le pistil, puis appuyer sur la languette qui est sous le pistil avec une aiguille avant de refermer en appuyant bien pour que le pistil et l’étamine se touchent. En six jours, il devrait y avoir une gousse. « Et c’est un petit noir qui a trouvé ça. » Nous sommes en 1841, Edmond a douze ans. Il est esclave chez son maître Monsieur Bellier-Beaumont à Sainte-Suzanne.
1848. Edmond grandit sans savoir ni lire ni écrire, mais il connaît les noms latins des plantes. Il a sa propre case, est toujours esclave et fait des démonstrations de fécondation de vanille chez de riches propriétaires. La main d’œuvre continue à être importée d’Afrique. Sur les hauteurs de l’île, vivent les marrons, esclaves échappés depuis des années et qui ne voulaient pas vivre ainsi toute leur vie. Le 27 Avril, un décret annonce que l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises dans les deux mois. Tout châtiment corporel et toute vente de personnes non libres seront interdits. Le commissaire général de la République Joseph Sarda-Garriga ne va pas tarder à débarquer pour le faire appliquer. Si pour certains c’est la mort de la colonie, pour d’autres, c’est un vent de liberté qui se met à souffler.
Avec un dessin trop réaliste, l’histoire aurait pu virer au drame sanglant. Le trait semi-réaliste de Tehem adoucit le propos sans pour autant le dévaloriser. De son côté, Appollo enchaîne les événements concrets sans jamais tomber dans le catalogue chronologique.
En 2020, Tehem et Appollo ont bénéficié d’une résistance d’artistes aux Archives départementales de la Réunion. Ils y ont découvert des détails oubliés de la vie d’Edmond Albius, celui qui voulait se faire appeler Vingt-Décembre lorsqu’on lui proposa un nom. Ils ont aussi déniché des dessins de Martial Potémont, l’un des protagonistes de cette histoire, artiste venu du continent en 1847, et foultitude de fragments de cette époque du beau milieu du XIXème siècle qui, à l’instar du nez de Cléopâtre, changea la face du monde. Les auteurs ont ainsi donné naissance à Vingt Décembre, œuvre de fiction inspirée de cette immersion dans les archives de l’île. Dans un dossier complémentaire, les auteurs présentent quelques extraits de leur journal de résidence. On y découvre entre autres des reproductions de pages de La Lanterne Magique, publication illustrée de l’époque, ainsi qu’une planche décalée dans laquelle Potémon montre des dessins inédits à Antoine Roussin, un jeune professeur de dessin qui se lance dans l’imprimerie.
Vingt Décembre est une passionnante aventure historique, à lire en parallèle avec Ile Bourbon 1730 que le même Appollo a écrit pour et avec Lewis Trondheim il y a déjà dix-sept ans. A la fois biopic et témoignage d’un changement de monde, Vingt Décembre est un album marquant.
One shot : Vingt Décembre
Genre : Histoire
Scénario : Appollo
Dessins : Tehem
Éditeur : Dargaud
ISBN : 9782205200935
Nombre de pages : 160
Prix : 21,50 €