Les chats et les souris
« -La Gestapo a cerné le centre du village. Ces ordures ont fouillé toutes les maisons ! Il paraît qu’ils retrouvaient les Juifs cachés en demandant aux commerçants les adresses de leur clientèle ! Ils ont embarqué une vingtaine de familles.
-Une vingtaine de familles ?
-Les hommes ont traversé la ville en marchant les bras levés, et les femmes tenaient leur enfant d’une main et leur baluchon de l’autre…
-Mais Henri, où les ont-ils emmenés ?
-Je ne suis sûr de rien. Très probablement au siège de la Gestapo, ou déjà à Drancy… ?
-Que deviennent tous ces pauvres gens ? »
Janvier 2022, Marion prend un café avec sa tante Lisou, 89 ans. Carnet de notes sur les genoux, Marion l’interroge sur sa vie pendant la Seconde Guerre Mondiale. En juin 1940, la famille juive quitte sa Lorraine pour le sud de la France à cause de l’invasion allemande. Après un passage dans l’Indre, puis à Grenoble, voici Lisou, sa sœur Mylaine et leurs parents réfugiés à Sarcenas, un petit village à douze kilomètres de la préfecture de l’Isère. La chasse aux juifs a commencé, il faut se cacher. Lisou a dix ans et la guerre n’en finit plus de finir. Ils trouvent asile dans un chalet prêté par des amis. Les mois et les saisons se succèdent. Les nazis se déchaînent dans la région. Les rafles font rage. Un jour neigeux de février 1944, alors que les parents sont partis raccompagner des amis jusqu’à l’autocar de Sappey, les deux jeunes filles voient débarquer une automobile noire. Ils recherchent la famille. Mylaine ment sur leur identité et leur indique une maison voisine. Les boches tournent les talons. La grande envoie sa petite sœur prévenir les parents pour qu’ils ne rentrent pas.
Mylaine sera arrêtée par les nazis, Lisou et ses parents erreront de cachettes en cachettes pour leur échapper. Mylaine et Lisou sont aujourd’hui en vie. Ce sont les tantes de la scénariste Marion Achard. Elle les a longuement interrogées en 2021. A 88 et 98 ans, elles ont apporté leurs témoignages sur cette période barbare d’un siècle faussement civilisé. Elles ont montré à leur nièce les fausses cartes d’identité, les différents courriers conservés, échangés entre eux, ou ceux de dénonciation et de la Gestapo. Marion Achard en a tiré le scénario de ce diptyque inspiré de leurs vies, de leurs destins brisés. La fillette et l’adolescente seront séparées par la tragédie. Cet épisode suit les pas de Lisou. Le second nous emmènera sur les traces de Mylaine et nous fera vivre sa déportation. On sait déjà qu’elles se retrouveront. Ça va légèrement aider à supporter le drame.
La volonté de Marion, dès le départ, est de s’adresser aux adolescents, parce que l’avenir du monde est dans leurs mains. Il faut se souvenir pour ne pas reproduire les erreurs du passé. C’est tellement bateau, cette phrase, mais c’est tellement vrai, tellement important. Dans un trait tout public arrondi, à la manière d’un Benoît Ers, Toni Galmes dessine l’ensemble avec l’innocence de Lisou toujours en ligne de mire. Ce n’est pas une héroïne, ce n’est pas une observatrice, C’est l’actrice d’une période trouble. Tout au long du récit, on est « elle », au jour le jour.
A ranger aux côtés des Enfants de la Résistance, Quand la nuit tombe (quel titre efficace !) démontre encore une fois d’une part aux témoins de l’époque que raconter leur histoire est la clef pour que la nuit ne retombe plus, et d’autre part aux lecteurs d’aujourd’hui qu’il est des temps sombres qui ne doivent pas revenir.
Série : Quand la nuit tombe
Tome : 1 – Lisou
Genre : Histoire
Scénario : Marion Achard
Dessins & Couleurs : Toni Galmés
Éditeur : Delcourt
Collection : Histoire et histoires
ISBN : 9782413077657
Nombre de pages : 128
Prix : 19,99 €