Au jour le jour, au lieu le lieu
« -Je me demande si ça a un nom, ces traces faites par les piétons qui prennent des raccourcis… Sinon il faut en trouver un. Ah oui ! Les lignes de désir ou les chemins de désir. J’aurais pas trouvé mieux. »
N’allez trouver aucune connotation sexuelle au nouveau tome des petits riens de Lewis Trondheim. Les lignes de désir ou les chemins de désir sont des sentiers tracés graduellement par érosion à la suite du passage répété de piétons, cyclistes ou animaux. Le terme a été inventé par les géographes, urbanistes et architectes. En ville, ces sentiers démontrent que l’aménagement urbain aux alentours est inapproprié, puisque les gens ont emprunté une voie qui n’était pas prévue au départ. En gros, c’est soit un raccourci, soit un chemin plus commode. Lewis en emprunte un. C’est ainsi qu’en se posant la question il découvre qu’une expression leur était attribuée. C’est loin d’être la seule route sur laquelle il va embarquer les lecteurs de cet album. Avec lui, la locution « Les chemins de désir » prend une dimension beaucoup plus large.
Comment passionner le lecteur en ne racontant rien ? Demandez donc à l’auteur de cette série. Les petits riens, le titre est éloquent. En plus de cent-vingt pages, passant d’un sujet à l’autre, Lewis nous invite à partager sa vie, dans tout ce qu’elle a de plus intéressant et futile, un paradoxe scénaristique qui a quelque chose d’envoûtant. On va beaucoup voyager. A Vancouver, on va déguster des cocktails aux tailles disproportionnées, avec des piques pleines d’oignons frits, de club-sandwichs, de morceaux de viande et de hamburgers, que l’auteur qualifie de junk food pour instagrammeurs. A Singapour, la bande centrale de l’autoroute est composée de pots de fleurs qui peuvent être déplacés pour créer une bande d’accès d’urgence si besoin. A Porto-Vecchio, en Corse, on peut ramasser une pièce de vingt centimes par terre. A Bonifacio, c’est deux euros mais on ne peut pas y toucher. La pièce est collée. Pour Lewis, c’est un signe de l’univers.
Les petits riens, c’est aussi la vie privée. L’auteur se fait enguirlander par sa femme parce qu’il se contente d’envoyer un SMS à son papa pour la fête des pères. Après s’être résolu à l’appeler, ce sont ses propres enfants qui la lui souhaitent… par SMS. Autre sujet, Lewis n’aime pas jeter. Si un article sur lequel il tombe peut l’amener à commencer une tentative de rangement avant de gros travaux chez lui, le naturel va vite revenir au galop. Une carte Orange pour prendre le métro, des timbres en francs, une diapositive, une carte à puces pour téléphoner d’une cabine…. Tout ça, c’est archi rare. Il pourrait les garder… Niveau graphique, on mesure les progrès qu’a fait Trondheim depuis ses débuts. Lui qui s’est plongé tout seul dans le grand bain en réalisant les cinq cents planches de Lapinot et les carottes de Patagonie est devenu un auteur qui n’a plus rien à envier aux dessinateurs formés dans des écoles. Quelques vues prises sur le vif sont teintées de précision et d’émotion. Une falaise, un arbre, une rue, une cathédrale, le chemin de l’œil de l’auteur à sa main prend la bonne route, le bon chemin de désir.
Après neuf volumes, les petits riens de Lewis Trondheim continuent à nous permettre de partager sa vie de créateur. Sorte de journal intime sans direction imposée, l’auteur y partage son quotidien et ses voyages avec générosité.
Série : Les petits riens de Lewis Trondheim
Tome : 9 – Les chemins de désir
Genre : Biographie
Scénario, Dessins & Couleurs : Lewis Trondheim
Éditeur : Delcourt
Collection : Shampooing
ISBN : 9782413077695
Nombre de pages : 128
Prix : 13,50 €