Nothomb adaptée
« -C’est vous qui l’aurez.
-Pardon ?
-Elle a raison. Vous êtes la plus jeune et la plus jolie.
-Vous n’êtes pas au courant ?
-Hein ?
-Une chambre de 40 m2 avec salle de bains privée dans un hôtel particulier en plein Paris, vous n’avez pas tiqué, vous ?
-Justement ! Qui ne tenterait pas sa chance ?
-Nous ne sommes pas les premières à nous présenter. Huit femmes ont déjà habité ici. Toutes ont disparu. »
Paris, dans un hôtel particulier, une poignée de candidates, plus ou moins jeunes, attend son tour pour rencontrer Don Elemirio, le propriétaire des lieux, qui y loue une chambre. Huit femmes l’ont déjà occupée. Toutes ont disparu. Comme les autres, Saturnine Puissant, professeur assistante à l’école du Louvre, espère être retenue. L’hôte ne tergiverse pas. C’est elle qui est choisie. Il lui fait visiter les lieux. Juste est interdite d’accès la chambre noire, pièce dans laquelle il développe ses photos. Malgré les réticences d’une amie à elle, elle accepte la location. Entre Saturnine et Don Elemirio, un jeu de manipulations va s’installer. Lui, veut en faire son nouveau modèle, elle, cherche à percer le secret de ce mystérieux nobliau, passionné de photographie.
Camille Benyamina adapte le roman d’Amélie Nothomb, lui-même inspiré du Barbe Bleue de Charles Perrault. C’est étonnamment la première fois qu’un ouvrage de la célèbre écrivaine est adaptée en bande dessinée. Ses livres, très dialogués, ont pourtant un côté théâtral qui se prête bien à la mise en images. Ici, la joute verbale oppose un ogre et sa supposée proie. Benyamina évite la monotonie avec des mises en scène surprenantes. Une crème de jaunes d’œuf se transforme en bain dans lequel nagent les personnages tout en continuant leur conversation. Cette couleur or obsède Don Elemirio. Elle l’émerveille depuis l’enfance, le met en transe, comme cet excellent champagne, version fluide du précieux métal, qu’ils dégustent. L’homme est intriguant. Les premiers questionnements apparaissent chez Saturnine. Est-il responsable des disparitions ? Que cache réellement la chambre noire ?
L’histoire ne pouvait trouver meilleur titre. L’essence du conte de Perrault se trouve dans cette intrigue : un homme riche à la barbe bleutée, des épouses (en l’occurrence ici des locataires) disparues, une nouvelle conquête, une pièce interdite. La seule différence réside dans le dénouement de l’intrigue. Dans le conte, l’ogre s’en va et découvre la trahison à son retour. Ici, il en serait presque complice. Tout comme Nothomb s’est permis des libertés par rapport à Perrault, Benyamina s’en permet par rapport à Nothomb, mais elles résident essentiellement dans le choix des scènes représentées et dans les prénoms de certains personnages, judicieusement modifiés. Que les aficionados de la dame au chapeau soient rassurés : l’essence Nothomb est préservée. Soulignons le soin apporté à la maquette de l’album : un papier épais, mat opposé aux couleurs au cœur du récit, des pages de garde façon début XXème, comme dans les anciens livres de contes, comme si l’album de BD était un pont entre Perrault et Nothomb.
Camille Benyamina donne envie de lire ou relire le roman de Nothomb tout en prouvant que l’œuvre de l’autrice peut être adaptée avec brio en bande dessinée. Nul doute qu’elle vient d’ouvrir une porte dans laquelle pourront s’insérer de nombreux auteurs, encore faudra-t-il avoir le même respect et le même talent. Et si Benyamina elle-même en adaptait d’autres ?
One shot : Barbe bleue
Genre : Drame psychologique
Scénario, Dessins & Couleurs : Camille Benyamina
D’après : Amélie Nothomb
Éditeur : Albin Michel
ISBN : 9782226467966
Nombre de pages : 120
Prix : 21,90 €