No life is no life, la la la lala !
« -Mon dieu. On t’entend dans toute la maison. Tu me fais mourir de honte. Chantal vient de me demander ce que tu faisais dans la vie… Je lui dis quoi moi ? « Mon fils jour aux meuporg toute la journée » ? Et c’est quoi toutes ces bouteilles ?
-Maman… Mon casque est cassé… Tu peux me prêter 20 euros ? Je te les rendrai…
-C’est la dernière fois. »
La mère de Quentin vient de monter à l’étage après avoir entendu un barouf d’enfer. Elle retrouve son fils dans sa chambre, par terre, les fesses à l’air. Les yeux défoncés par des heures, des jours et des nuits d’ordinateur, le jeune homme, d’une vingtaine d’années, se plaint que son casque est cassé. Elle lui donne les 20 euros qu’il demande, mais ça sera la dernière fois… Entre jeux de guerre en ligne et vidéos pornos, Quentin est un « no life ». Sa vie est exclusivement numérique. Comme Quentin a mal aux dents, il carbure au Tramadol, un antalgique qui lui calme la douleur et dont les substances opiacées agissent sur le cerveau. S’il a si mal aux dents, c’est certainement à cause de ses canines de vampire. Aujourd’hui, il va affronter le monde extérieur car il lui faut remplacer son PC. Il n’a pas froid. Il n’a pas peur. Le Tramadol lui donne des ailes. Jusqu’à présent, il a parcouru plus de distance dans les mondes virtuels que dans la vraie vie. La sortie risque d’être une aventure.
Après avoir tenté de voler un modèle d’expo et gerbé dans le magasin, Quentin échappe aux flics grâce à Issa, un employé qui refuse de nettoyer. Le responsable les jette tous les deux de la boutique. Issa comprend rapidement que le geek qu’il vient de rencontrer est un peu particulier, tout comme lui. Il l’amène dans un château, au beau milieu de la ville, demeure dont Quentin ignorait totalement l’existence. N’y vivent que des vampires et une goule qui semble gérer la maison. Le lieu a été fondé par son maître, l’éminent Michel qui n’est pas sans rapport avec Quentin, et qui a construit une étrange machine fonctionnant au sang de vampire.
Pour son premier album, Matao écrit une aventure psychédélique que n’aurait pas renié un Alejandro Jodorowski, un délire vampirique renvoyant en seconde ligne les récits classiques du genre. Matao met en scène un « no life », ces individus externes au monde réel, préférant la virtualité électronique des ordinateurs et du web. Quentin en est arrivé à tel point de dépendance qu’il a basculé dans un monde dont on se demande sans cesse dans quelle réalité ou irréalité il se trouve. Ce qui lui arrive est-il concret ou est-on avec lui sous la dépendance de substances ? On se pose sans cesse la question avant que le final sans équivoque nous amène à la vérité. C’est scénaristiquement très finement joué.
Dans un graphisme voisin de l’underground, tout en niveaux de gris, Matao navigue entre une réalité à fuir et un fantastique assumé. C’est une histoire de vampires sans rouge, mais on a l’impression d’en être imprégné. Matao a inventé le gris-rouge. Ajoutons que Matao a de qui tenir puisqu’il est le fils du peintre Yann Queffélec, excellant dans les gris et dont des oeuvres participent au final, accentuant le fond du récit.
Histoire sur la réalité virtuelle, histoire de vampires, histoire sur les rapports familiaux, Dark Quentin éclaire le récit de genre par le biais d’un angle inédit. Qui plus est, c’est drôle, c’est inquiétant, c’est émouvant. Matao arrive dans le paysage BD et, même si les vampires n’ont pas de reflet, ne risque pas de passer inaperçu.
One shot : Dark Quentin
Genre : Aventure fantastique
Scénario & Dessins : Matao
Éditeur : 6 pieds sous terre
Collection : Monotrème
ISBN : 9782352121817
Nombre de pages : 160
Prix : 22 €