L’avocate qui a dit non
« -Je serai écrivaine, avocate, ambassadrice, générale, présidente…
-Voyons, Zeiza ! Une femme n’exerce pas ces métiers-là.
-Mais pourquoi ?
-Parce que ! »
Fille d’un père juif berbère et d’une mère séfarade, Zeiza est née en Tunisie en 1927 à La Goulette. Elle deviendra française quatre ans plus tard lorsque son père parviendra à se faire naturaliser. Très vite, la petite fille pleine de vie se demandera pourquoi elle était obligée de laver le sol alors que ses frères en étaient dispensés. A l’âge de dix ans, elle se rebelle. C’est la première victoire féministe de celle qui deviendra la grande avocate Gisèle Halimi. A la justice de Dieu et à celle des hommes, elle préfèrera une justice égalitaire et emploiera sa vie à défendre des causes qui semblaient perdues d’avance. Elle contribuera à faire évoluer de façon considérable la place de la femme dans la société.
L’historien Jean-Yves Le Naour raconte la vie d’une femme exceptionnelle qui a largement contribué à faire évoluer les mentalités d’une société machiste et phallocrate. Il lui en aura fallu du courage à Madame Halimi pour faire tomber des murs que d’aucuns soutenaient avec une force empirique. Elle a défendu des victimes innocentes accusées à tort de tentatives d’attentats en Algérie. Elle a permis de redéfinir et condamner le viol, soutenu l’IVG, combattu aux côtés de Simone de Beauvoir et de Simone Veil. Elle a été politiquement trahie par les plus grands noms du système comme François Mitterrand qui se sont servis d’elle comme alibi féminin puis n’ont pas tenu leurs promesses. Le Naour emploie la première personne du singulier, faisant de Gisèle Halimi la narratrice de sa vie. On n’est jamais mieux raconté que par soi-même.
On n’attendait pas Marko, le dessinateur de La brigade des souvenirs et de Le jour où…, dans un album comme celui-ci. Après A bâbord, toute ! et A tribord, toute !, les histoires de la gauche et de la droite en bande dessinée, Marko et Le Naour en sont à leur troisième collaboration. A la différence des deux premiers livres, très intéressants mais relativement touffus, celui-ci prend son temps pour s’attarder sur chacune des étapes de la vie de l’avocate. Marko se dépasse dans des compositions inattendues. Les expressions de visages sont incroyables. Il y a très peu de décors. Il n’y a pas de couleurs à proprement parler mais des tons, différents selon les ambiances des séquences : du beige, de l’ocre, du gris bleu, du noir, du rouge, le rouge de la violence en Afrique du Nord, le rouge des règles des femmes, le rouge des pourceaux violeurs, le rouge des insultes misogynes. Il faut voir comment Marko montre Gisèle Halimi survolant le monde, de la petite algérienne à la politicienne désenchantée en passant par la militante engagée, avocate ne se laissant rien dicter. Il faut voir comment Marko représente graphiquement les scènes de procès, les manifestations et les discours politiques. Tout ce qui aurait pu, ou même dû, être ennuyeux dans une bande dessinée se trouve passionnant dans le sens étymologique du terme.
En quelques mois, Gisèle Halimi l’insoumise est le deuxième livre consacré à cette avocate qui voulait changer le monde. Chez Steinkis, Sandrine Revel a adapté avec Sophie Couturier, sous l’œil bienveillant d’Annick Cojean, le livre que cette dernière a co-écrit avec Gisèle Halimi elle-même. Dans un graphisme objectif, dans lequel on ne reconnaît pas son trait du premier coup d’œil, Sandrine Revel propose un album où transparaît le dévouement de Gisèle Halimi pour son travail, sa carrière et ses combats.
Alors que l’essentiel des honneurs concernant l’évolution de la femme dans la société revient à Simone Veil, ce qui n’est pas démérité, il ne faut pas oublier que sans Gisèle Halimi on n’en serait pas arrivé là. Elle fait partie de ces personnalités, que l’on aurait tendance à oublier, mais qui sont des pierres fondatrices de l’émancipation féminine. Heureusement qu’il reste la bande dessinée pour réhabiliter les gens comme elle. Gisèle Halimi l’insoumise, avocate pour changer le monde, est l’un des albums majeurs de l’année.
One shot : Gisèle Halimi l’insoumise
Genre : Biopic
Scénario : Jean-Yves Le Naour
Dessins & Couleurs : Marko
Éditeur : Dunod Graphic
ISBN : 9782100840847
Nombre de pages : 128
Prix : 18,90 €