Tout au front de la tragédie
« -Ce coup-ci, la faucheuse s’est bien gavée…
-Faut croire qu’elle ne prend plus le temps de finir son assiette.
-J’ai entendu quelque chose !
-Où ?
-Tout près d’ici. Regarde !
-C’est lui qui siffle comme ça ?!
-Le pauvre, elle n’a pas soldé son compte, cette putain de guerre ! »
1918, Célestin repart dans les tranchées. Il quitte Mathilde sur le quai de la gare et rejoint ses compagnons poilus pour regagner le front. Dans un camp, comme dans l’autre, les soldats sont de la chair à canon, les victimes d’une implacable fatalité. Dieu rappelle ses ouailles sans prendre le temps de les écouter. On essaye de sauver les blessés que l’on peut, dans l’odeur âcre du sang, de la tripaille et du pus. Célestin garde précieusement près de lui une photo de famille, où il est avec sa femme et son fils. Elle lui permettra de se rappeler des belles années lorsqu’il sera grièvement blessé par un obus. Si la guerre fait sombrer les destins dans l’horreur, elle ne peut pas voler les années de bonheur vécues. C’est cela dont Célestin veut faire prendre conscience à sa famille.
Célestin sait que le cauchemar qu’il vit le tourmentera à jamais. Il ne sait pas s’il s’en sortira et se concentre sur ses moments de bonheur avec les siens, même si à chacune de ses permissions la tragédie du conflit le hantera. Et puis il y a les fantômes. Il les voit. Ils sont encore là. Ils ne cessent de le suivre. Ils lui reprochent de ne pas être venu les chercher, de les avoir abandonnés, d’avoir survécu. Ce sont ses camarades moins chanceux que lui qui ont péri sous les balles et les obus ennemis. Célestin ne veut plus entendre les cloches de la mobilisation qui ne cessent de l’appeler. Entre rêve et réalité, souvenirs et destins brisés, cette histoire est de la veine des « Choses de la vie », film de Claude Sautet dans lequel Michel Piccoli voit sa vie défiler pendant un accident de voiture.
Julien Langlais signe ici son premier album. A l’origine projet de fin d’études, l’histoire a été profondément remaniée pour aboutir à l’album présenté ici. Langlais nous invite dans les tranchées, les terrifiantes tranchées, au milieu des cadavres et des gueules cassées. On est parfois perdu comme l’est Célestin. Langlais réussit à installer une atmosphère évanescente. Il fait de nous des témoins en immersion, plaçant le lecteur face au danger. L’auteur ne sombre pas dans l’inéluctable et la tristesse en délivrant un inattendu et optimiste message porté par le titre même du one shot. Le socle de chaque vie est posé sur les bases solides d’instants heureux partagés. Ceux qui restent doivent s’en rappeler.
« Rappelle-toi ces belles années » est de ces livres devoir de mémoire permettant de se rappeler et d’éviter que l’Histoire ne se répète, mais c’est aussi une leçon de courage, de vie, de résilience et d’espoir.
One shot : Rappelle-toi ces belles années
Genre : Histoire
Scénario, Dessins & Couleurs : Julien Langlais
Éditeur : Soleil
ISBN : 9782302099630
Nombre de pages : 60
Prix : 15,95 €