Neuf petits nègres pour Predator
« -C’est bon. On va remonter le courant au moins sur deux miles et trouver un passage à gué pour traverser la rivière. Puis, plein Nord sur trois miles pour arriver à la crête. On y va, sur la berge. Dix pieds d’écart entre chaque homme.
-Sergent ! Regardez !
-Un Loach ?
-Qu’est-ce qu’il fout là ?
-On dirait qu’il cherche à se poser.
-Où ? Il n’y a rien là-bas… »
Sud-Vietnam, 1965, vallée de la Drang, une troupe de GI avance dans la jungle asiatique. Entre les pluies diluviennes et les fleuves à traverser, le Sergent Tyler et son groupe sont les acteurs d’un conflit sanglant ne laissant aucune place à la pitié. Un hélicoptère se pose dans une clairière et repart aussitôt ; il vient de déposer Huyn Than My, un journaliste de l’associated press. Les directives de McNamara sont claires : les restrictions faites aux médias sur les zones de combat doivent être dimininuées. Le journaliste remarque rapidement une statuette accrochée au barda de Powell, un membre du commando. C’est Latah, un mystère de la culture orientale qui frappe les personnes ayant souffert ou ayant subi un choc, les rendant incontrôlables, erratiques et les transformant physiquement. La malédiction ne va pas tarder à s’abattre sur les GI qui vont devoir se battre contre un ennemi hors du commun. Tout a une cause. Latah ne frappe pas sans raison.
Thomas Legrain se lance pour la première fois en solo. Après Sisco et The Regiment, l’auteur mêle récit de guerre et survival dans un blockbuster terrifiant. Plus angoissant que Voyage au bout de l’enfer, aussi patriotique que Platoon, aussi dramatique que Full Metal Jacket, tout autant implacable que Apocalypse Now, Latah a un côté allégorique qui donne vie à l’horreur de la guerre par le biais d’une entité qui décime les soldats américains. On ne la voit quasiment pas. On aperçoit son ombre. La tension monte crescendo. Les GI font figure de « petits nègres » face à un Predator d’un autre genre. Ici, l’ennemi ne vient pas de l’espace mais de la mythologie locale. Laissera-t-il des survivants ?
Legrain réussit une immersion totale dans un paysage finement détaillé. On doit pousser les feuillages pour passer d’une case à l’autre. On a la sensation d’avoir les pieds mouillés lorsque l’on franchit une rivière. On tremble en tirant vers un ennemi que l’on ne voit pas. On est le dixième membre de la troupe du Sergent Tyler comme dans ces mythiques livres dont vous êtes le héros. Thomas Legrain ne laisse aucun répit, ni à ses personnages, ni à ses lecteurs. Il y a des respirations dans l’histoire, certes, mais on ne sait jamais quand la mort va frapper. Le « page turner » est à son paroxysme.
La collection Signé est au Lombard ce que Aire Libre est à Dupuis : un concentré d’albums indispensables aux signatures prestigieuses, qu’elles soient déjà fort reconnues ou en passe de le devenir. Latah et Legrain y ont tous les deux leur place légitime.
One shot : Latah
Genre : Guerre
Scénario & Dessins : Thomas Legrain
Couleurs : Mikl
Éditeur : Le Lombard
Collection : Signé
ISBN : 9782808205146
Nombre de pages : 128
Prix : 23,50 €