Meurtre à Paris-sous-Seine
« -Clemenceau ! Veni qui !Qui est-ce ?
-Si je le savais ! Un chiffonnier a repêché le joli colis à l’aube, avenue de l’Opéra, croyant faire une bonne affaire.
-J’imagine qu’elle n’est pas morte noyée ?
-Vous avez raté une vocation, mon ami. C’est un véritable polichinelle qu’on a là. »
Paris, 1910. La Seine est sortie de son lit. La morgue du quai de l’Archevêché prend un bain de pieds. A la faculté de médecine de Paris, les salles frigorifiques ne fonctionnent plus. L’odeur pestilentielle des cadavres rend l’air irrespirable. Ange Leca, journaliste d’origine corse, vient d’y débarquer avec son chien Clémenceau. Un corps démembré vient d’être repéché par un chiffonnier, avenue de l’opéra. C’est un buste de femme. Il lui reste un bras mais elle a été amputée de l’autre, de ses deux jambes, de sa tête et, plus curieux, de ses seins. Il n’est pas possible de l’identifier. De retour à la rédaction de son journal Le Quotidien, Leca est convoqué par son directeur qui le vire pour alcoolisme. Il faut dire qu’il est accroc à la « fée verte », l’absinthe, autrement appelé l’alcool des bourgeois et des artistes. Ça ne va pas l’empêcher de mener son enquête sur ce cadavre mystérieux. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est qu’elle va toucher sa vie privée.
L’année dernière, Philippe Pelaez et Alexis Chabert enluminaient le Paris fin XIXème dans un polar d’époque et d’ambiance. C’était dans Automne en baie de Somme, chez le même éditeur et dans la même collection Grand Angle. Un an plus tard dans notre vie, une vingtaine dans la vie de l’époque, le trio Graffin-Ropert-Lepointe nous immerge au figuré comme au propre dans l’époque. On est à présent post-Mucha, ce célèbre affichiste qui a imposé un graphisme et un ton qui sont ancrés et encrés dans l’imaginaire collectif. Ange Leca est un journaliste-enquêteur. Il est tout sauf lisse. Il a un chien mais il est presque un anti-Tintin. Il est alcoolique, opiomane abstinent, volage. Il est l’amant d’une femme marié. Il a des origines. Il est corse et forcément quand on est corse on a des racines et de la personnalité.
Dans un dessin à la Christian Lax, Victor Lepointe représente ce Paris sous les eaux de 1910. La Seine est sortie de son lit. L’eau a envahi les bouches de métro. Les quais sont inondés et les boutiques ont les pieds mouillés. Des passerelles sont installées. Les pompiers se déplacent en barque. Lepointe représente ce moment inhabituel dans un réalisme sorti de l’époque. Ange Leca ressemble physiquement, et moralement presque, à un personnage comme Georges Duroy, le Bel-Ami de Maupassant. Au niveau des couleurs, hormis les trois dernières planches qui tranchent avec le reste mais dont on ne peut rien dire, le dessinateur reste dans une ambiance grisâtre correspondant à la fois au mauvais temps et à l’enquête malsaine pour laquelle Lepointe va graphiquement très loin.
Ange Leca est un très bon polar. Le titre n’est pas vraiment vendeur. C’est dommage. Cet album sera-t-il le premier d’une série ? Il faut l’espérer. Le personnage a un potentiel certain qui ne demande qu’à être développé.
One shot : Ange Leca
Genre : Polar
Scénario : Tom Graffin & Jérôme Ropert
Dessin & Couleurs : Victor Lepointe
Éditeur : Bamboo
Collection : Grand Angle
ISBN : 9782818996294
Nombre de pages : 72
Prix : 15,90 €