Le journal d’une exposition
« Pour ceux qui douteraient encore de ce que la bande dessinée joue désormais dans la cour des grands, cette exposition – et tout ce à quoi elle renvoie – apportera un démenti documenté. » Pascal Ory, de l’Académie Française
Bruxelles 1940 : la guerre n’est pas jeu, que ce soit pour les petites filles… ou pour les petits garçons. C’est ce que tente d’expliquer Spirou à une bande d’enfants qui, innocemment, s’amusent à des jeux de grands en ce samedi sans école. Sauf que la guerre est tout sauf un jeu.
En arrivant prendre son service au Moustic Hotel, une voiture ralentit et l’un de ses occupants remet une lettre au groom. C’est Kassandra, son amoureuse et ex-collègue, qui lui écrit de Russie. Les soviétiques l’ont arrêtée. L’allemande va être extradée vers son pays. La communiste est livrée aux nazis. Spirou voudrait l’aider. Fantasio, militaire affecté à la forteresse d’Eben-Emael rempart contre l’avancée allemande, le rassure. « Les nazis vont être rapidement écrasés par les puissantes armées française et britannique. » C’est malheureusement un tout autre scénario qui se dessine pour Spirou, Fantasio et le monde entier. Les premières bombes tombent sur la capitale belge. Ainsi commence Spirou, l’espoir malgré tout, tétralogie signée Emile Bravo.
L’histoire se poursuivra en automne 1940 : Spirou et Fantasio vivent dans une misère noire. Quelques jours auparavant, le groom a réussi à empêcher Fantasio de partir travailler en Allemagne. Les deux amis n’ont plus les moyens de payer le loyer de l’appartement, ni même de quoi se sustenter. En discutant avec le couple d’artistes Felka et Félix Nussbaum, Spirou a une idée de génie : monter un théâtre de marionnettes itinérant. En pleine Seconde Guerre Mondiale, financé par un mécène, le théâtre du Farfadet va ravir les enfants, acteurs innocents d’une barbarie sans nom. Spirou verra ensuite les déportations et les bombardements, ennemis mais aussi alliés. Bref, de quoi sortir métamorphosé d’une guerre atroce qui ne cicatrisera jamais.
Avec une sensibilité impressionnante, un didactisme simple et efficace, Bravo offre au personnage de Spirou la possibilité de devenir le vecteur d’un témoignage important sur la seconde guerre mondiale. Spirou n’y est pas un héros ; il n’est pas un résistant faisant des actes de bravoure. Il se comporte « simplement » de façon humaine. Par le truchement du personnage de Spirou, Emile Bravo amène le lecteur à se poser la question de savoir ce qu’il aurait fait s’il s’était retrouvé à sa place à ce moment-là, préoccupation ô combien difficile à réaliser. Par ailleurs, en intégrant à sa fiction des éléments authentiques de l’histoire des éditions Dupuis, à savoir ce théâtre itinérant de marionnettes qui a réellement existé, Emile Bravo réalise une mise en abime inattendue.
Bravo a mené un travail d’historien. Chaque scène ne laisse rien au hasard. Un exemple, dans les trains belges, jusqu’en 1943, les juifs ne se doutaient pas du piège dans lequel les embarquaient les nazis. On était encore loin des wagons à bestiaux. Par ailleurs, les nazis avaient créé une association de juifs pour les juifs, l’Association des Juifs de Belgique (AJB), qui recensait et convoquait les juifs du pays à la caserne Dossin de Malines et qui n’était rien d’autre qu’un camp de transit avant Auschwitz.
Tout cela valait bien une exposition dont voici le catalogue pour mettre en valeur tout le travail de recherche d’Emile Bravo, en replaçant l’histoire dans son contexte historique avec des documents d’époque.
L’ouvrage dirigé par Didier Pasamonik est divisé en huit chapitres. Dans Spirou, un groom à la riche histoire, on revient sur la création du groom et la façon dont Emile Bravo s’en est emparé. La Belgique occupée replace le contexte historique. Spirou et Fantasio rencontrent Félix et Felka montre comment l’œuvre de ce peintre, Félix Nussbaum, ayant réellement existé est lié à l’Histoire. Que se passe-t-il à L’Est ? soulève les interrogations, avant que la partie Résister ne fasse le lien avec Un journal en résistance qui expose le rôle important de Jean Doisy, rédacteur en chef du journal et figure de la résistance. On finira par un point sur l’état de la bande dessinée pendant l’occupation, puis comment Emile Bravo s’est intéressé à l’œuvre de Félix Nussbaum.
Spirou, l’espoir malgré tout est une série prestigieuse qui fait œuvre de mémoire et qui valait bien une exposition qui se tient au Mémorial de la Shoah à Paris jusqu’au 31 août 2023.
One shot : Spirou dans la tourmente de la Shoah
Genre : Histoire
Sous la direction de : Didier Pasamonik
Commissariat général : Caroline François
D’après : Emile Bravo
Préface : Pascal Ory
Éditeur : Dupuis – Mémorial de la Shoah
ISBN : 9791034769506
Nombre de pages : 152
Prix : 29 €