Le réalisme d’un mythe
« -Je te reconnais, toi, tu es Baldwin, le gamin de Grandma Gumbo.
-Oui, m’sieur Luke, c’est moi.
-Tu vas où comme ça ?
-En Californie.
-Ok, monte fiston, je te prends avec moi. »
On connaît tous la carrière du cow-boy qui tire plus vite que son ombre. On connaît sa petite enfance avec Kid Lucky. Entre les deux, le mystère demeurait. Avec une veine réaliste à classer à côté des albums de Matthieu Bonhomme, Brunö et Appollo explorent la jeunesse de Lucky Luke dans une série d’histoires courtes, au Dakota, en 1880. Lucky Luke escorte une diligence en tant que shotgun, vers la Californie.
Dans Le maître d’école, en route, ils embarquent Louis Riel, un instituteur métis rejoignant le Canada pour les vacances scolaires. Un prof avec un flingue, Lucky aurait dû se méfier. Mais le voyageur avait une bonne raison de protéger ses arrières.

Dans 40 acres et une mule, le jeune Baldwin sauve Luke d’un bien mauvais pas. Le garçon avait quitté la Nouvelle-Orléans avec sa grand-mère après la guerre afin d’obtenir les 40 acres et la mule promis par le genéral Sherman après des années d’esclavage. Un petit peu de chamanisme et Grangma Gumbo ramène le cow-boy à la vie. Quelques années plus tard, Baldwin embarque dans la diligence escortée par celui qu’il a sauvé.
Plus vite que son ombre est presque une histoire de passation de relais, sauf que Lucky Luke n’est pas encore à l’heure où il doit passer la main. Il n’empêche que le cow-boy solitaire va trouver en la petite Annie Oakley, 13 ans, une digne émule.

Querelle commence par un pugilat digne d’animaux sauvages. Lucky Luke recueille les deux ennemis dans la diligence qu’il escorte. Contre toute attente, c’est la chose la plus improbable qui soit qui va bouleverser les relations entre deux types que tout oppose. Ce récit est encadré par Averse et Brasier, deux histoires sur la condition féminine dans ces temps et ces lieux où la place des femmes était loin d’être évidente.
Enfin, L’avenir montre comment l’avènement de la photographie a permis de garder des traces de la conquête de l’Ouest.
La première aventure de Lucky Luke s’intitule Arizona 1880. Avec Dakota 1880, les auteurs racontent le Lucky Luke d’avant. C’est le jeune Baldwin qui racontera les exploits du cow-boy solitaire dans des romans populaires à la fin du XIXème siècle, contribuant à la légende de l’Ouest. Vu la date de l’action, Jolly Jumper, Rantanplan et les Dalton sont fatalement absents. Leur absence contribue au côté réaliste voulu par le ton. Brunö et Appollo ont gardé le côté aventure mais écarte sciemment la face burlesque de la série. Comme Goscinny le faisait, ils injectent un pan historique avec ici l’histoire de la communauté afro-américaine aux Etats-Unis. Louis Riel a réellement existé. Côté dessin, Brunö ne fait pas de concession et garde son trait caractéristique qui fait sa patte, et c’est tant mieux. Le dessinateur apporte une vision contemplative à la Hugo Pratt. Il ne se prive pas de références cinématographiques comme avec le film La première balle tue, de Russell Rouse, en 1956, qui se passe à Cross Creek, comme l’une des histoires de l’album.

Terminons sur deux séquences émotions. La première est celle par la page de titre : 7 histoires de Lucky Luke. La locution est un clin d’œil au titre éponyme d’un album paru en 1974 compilant sept courts récits signés Morris et Goscinny. La seconde est l’épilogue, deux planches sublimes et la complainte qui rappelle que, oui, c’est bel et bien le vrai Lucky Luke que nous avons suivi durant tout cet album. Un entretien avec Gustav Frankenbaum le confirme en postface.
Après Jolly Jumper ne répond plus, par Bouzard, Lucky Luke se recycle, par Nawil, Choco-Boys, par Ralf König, Les indomptés, par Blutch, ainsi que les deux albums de Mathieu Bonhomme, Dakota 1880, par Brunö et Appollo, montre que Lucky Luke peut s’aborder et se lire sous toutes les facettes.
Série : Lucky Luke
Tome : Dakota 1880
Genre : Western
Scénario : Appollo
Dessins: Brunö
Couleurs : Laurence Croix
D’après : Morris
Éditeur : Dargaud
ISBN : 9782884715072
Nombre de pages : 64
Prix : 16 €



