Boulevard Tintin – Les coulisses d’une œuvre 6 – L’oreille cassée / 7 – L’île noire
Au-delà de l’Atlantique, au-delà de la Manche
« -Pif ! Paf ! Pan !… Je suis mort !… Vive le général Alcazar et les pommes de terre frites !
-Vous conduire à l’Île Noire ?… Pas pour tout l’or du monde ! Je tiens à la vie, moi, jeune homme ! »
1935. Après Le lotus bleu, L’oreille cassé n’est que le deuxième album de Tintin au scénario savamment structuré. L’aventure commence en décembre 1935 dans le Petit Vingtième. Une statuette est dérobée au Musée ethnographique et remplacée par une fausse. L’enquête amène Tintin en Amérique du Sud sur fond de conflit armé entre deux pays imaginaires, pendants de la Bolivie et du Paraguay en pleine guerre du Chaco. Hergé signe une histoire policière aux multiples rebondissements. L’histoire est construite avec moins de rigueur mais plus de spontanéité que Le Lotus Bleu. L’oreille cassé est un véritable feuilleton construit au fil des semaines. Hergé interagit avec les lecteurs du Petit Vingtième, avec des énigmes régulières à résoudre. Polar tout aussi comique que tragique, l’aventure n’en est pas moins une satire politique et militaire. Avec ce récit multi-facettes, Hergé ratisse large et conquiert un large public, des enfants aux adultes.

1937. Ce n’est pas l’Atlantique que Tintin va traverser, mais tout simplement la Manche. Alors qu’il se promenait dans la campagne avec Milou, Tintin se fait tirer dessus par les aviateurs d’un avion qui semblait en panne. Lors d’une visite des Dupondt à la clinique, notre reporter apprend qu’un avion de tourisme ressemblant à celui qu’il a vu s’est écrasé dans le Sussex en Angleterre. Il décide de se rendre sur place, mais ce n’est pas du goût de tout le monde, notamment du voyageur d’un train qui l’accuse de vol afin qu’il se fasse arrêter et ne puisse pas partir. Ce sera peine perdue. Tintin va aller jusqu’en Ecosse pour tenter de confondre un trafic de faux-monnayeurs, et se trouver confronté à un gorille effrayant.

Dans les coulisses de L’oreille cassée, on nous rappelle que si la tribu des Arumbayas est totalement imaginaire, le musée ethnographique dans lequel commence l’histoire existe bel et bien. Grâce notamment à des planches que l’on découvre en avant-première de la version colorisée de la première version à paraître en 2027, on revient sur cette fameuse scène disparue dans la dernière mouture où un indien souffle une flèche empoisonnée sur Tintin endormi… mais ce n’était qu’un rêve. On profite des merveilleuses couvertures du Petit Vingtième : la villa Rayon de Soleil dans la nuit, Ramon et Alonzo face au perroquet livrant son secret, Tintin devant le peloton d’exécution, et bien d’autres… L’oreille cassée, c’est aussi la première rencontre avec l’un des personnages secondaires mythiques de la franchise : le général Alcazar. Tintin croisera également la route de Ridgewell, explorateur que tout le monde croyait mort, inspiré par l’archéologue Percy Fawcett et l’ethnographe Robert de Wavrin. On s’attardera évidemment sur la seule scène allégorique de tout Tintin en fin d’album.
Pendant ce temps, Jo et Zette sont confrontés au Rayon du mystère (sublime projet de couverture carrée) tandis que Quick et Flupke raillent la guerre italo-éthiopienne.
Cet épisode est l’occasion de se replonger dans Hergé face à son fétiche, ouvrage passionnant signé Patrice Guérin, autre hergéologue réputé, paru chez 1000 sabords.

Dans les coulisses de L’île noire, contrairement à l’épisode précédent aux lieux imaginaires, on retrouve Tintin dans des décors et des pays existants. Il va franchir la Manche d’Ostende à Douvres, avec Milou, alors que le petit chien n’aurait pas dû pouvoir le faire à cause des règles sanitaires en vigueur pour les animaux. Là-bas, ils traverseront des villages fictifs et de réels décors inspirés de cartes postales, des falaises d’Ecclessbourne aux maisons typiques du Sussex. Le terrible Docteur Müller fait son apparition, ainsi que, bien avant les Bijoux, une pie voleuse… de clé de garage de pompiers. Un extrait d’un carnet de notes de Hergé montre comment l’auteur préparait une scène. On profite des incroyables illustrations hors texte intégrée à l’album Casterman de 1938. On remarque les différences, notamment au niveau des véhicules, entre les différentes éditions, car, de tous les albums, L’île Noire est celui qui a connu le plus de refontes.
Cet épisode est l’occasion de se replonger dans Les îles noires d’Hergé, ouvrage très pointu signé Ludwig Schuurman, paru chez Georg et qui propose l’étude comparée des trois versions de l’album.

On ne peut pas conclure cette chronique sans un mot pour Philippe Goddin qui vient de nous quitter. Icône des tintinologues, l’homme restera le plus grand exégète de tous les temps de l’univers de Hergé. Il a ouvert la voie à de nombreux auteurs qui se sont penchés sur l’œuvre du maître. Sans lui, vous ne liriez peut-être pas cette chronique aujourd’hui. Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau. Mais ce n’est pas tout. Quand on a fini de lire Goddin, on peut recommencer à lire Goddin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.


Série : Tintin Hergé Les coulisses d’une œuvre
Tomes : 6 – L’oreille cassée/ 7 – L’île noire
Genre : Aventure
Auteur : Philippe Goddin
Avec la participation de : Dominique Maricq
Scénario & Dessins : Hergé
Éditeur : Moulinsart
ISBN : 978281044-1693/-2010
Nombre de pages : 108
Prix : 19,95 €