Biographie d’une chanson de Billie Holiday
« -Toujours pas de nouvelle de Billie…
-Elle est imprévisible… Elle est partie en tournée, en plus… Humpf ! (…) Ecoutez, je suis désolé, je pense qu’il ne faut pas compter sur Billie pour « Strange Fruit ». La politique, c’est pas son truc.
-Oui, mais vous disiez sur tout le monde trouve cette chanson très belle…
-Oui, ça n’est pas ça le problème.
-Alors, laissez-moi la chanter… »
Inspiré par la photo de deux noirs lynchés par tout un village, Abel Meeropol a écrit une chanson. Elle s’appelle « Strange Fruit »… Fruit étrange… Comme si ces cadavres étaient des fruits suspendus à la branche d’un arbre. Cette chanson, Billie Holiday l’a chantée. Aujourd’hui, des années après, dans la loge de l’artiste, tous deux se remémorent la première fois qu’ils se sont rencontrés, il y a vingt ans, et l’histoire de cette chanson pas comme les autres. Comment un inconnu a-t-il pu entrer en contact avec une star ? Comment un petit prof de lycée est-il parvenu à convaincre l’une des chanteuses les plus en vue d’interpréter ce qui s’apparente à un brûlot politique ? « Southern trees bear a strange fruit… »

Nous sommes en 1939. Billie Holiday a grandi dans le Nord. Elle ne connaît rien aux lynchages dans le Sud. Alors, une chanson qui parle des corps noirs qui se balancent dans la brise, les yeux révulsés et la bouche déformée, ça risque de détoner dans la discographie de la métisse. Pour son agent, il est grand temps que les artistes noirs prennent la parole sur ce genre de sujets. Elle va y réfléchir. Elle tarde à se décider. La femme d’Abel propose de l’interpréter, mais son style n’est pas assez jazz. Meeropol doit-il se contenter d’écrire des textes moins engagés ? Il ne peut écrire que sur ce qui le touche, mais ce n’est pas ça qui va l’aider à boucler son loyer. Quelques semaines plus tard, l’artiste va accepter de mettre la chanson à son répertoire.

C’est en découvrant la photo du lynchage de Thomas Shipp et Abram Smith, suspectés de meurtre, dans l’Indiana en 1930, avec les sourires des spectateurs barbares, puis en découvrant qu’elle avait inspiré Abel Meeropol pour l’écriture d’une chanson, que Vincent Hazard s’est intéressé à l’histoire de cette chanson. Il a d’abord écrit une fiction à ce sujet pour l’émission Autant en emporte l’histoire, de Stéphanie Duncan sur France Inter, en 2020. Aujourd’hui, l’histoire devient une bande dessinée et nous amène au plus profond d’une Amérique raciste. Avec son frère Laurent, il est parti enquêter aux Etats-Unis, sur les traces du New York des années 30 et 40, dans les pas de Billie et d’Abel, allant même jusqu’à rencontrer Michael Meeropol, fils adoptif d’Abel et dont les véritables parents étaient Ethel et Julius Rosenberg, accusés d’espionnage avec l’union soviétique et condamnés à mort.
A.Dan met musicalement l’aventure de cette chanson en image. C’est bien cette chanson qui est la véritable héroïne de l’histoire. Ce n’est pas Billie. Ce n’est pas Abel. C’est bien autour d’elle que tout tourne. Bien sûr, on est au cœur des préoccupations et des tourments de son auteur ; bien sûr, on est au cœur des affres et des déboires de son interprète. Mais c’est bien elle, la chanson, qui donne le ton. Des petits clubs de jazz miteux de Harlem jusqu’au Carnegie Hall, A.Dan dessine le parcours de « Strange Fruit », dans une ambiance tout aussi jazzy que parfois glauque. La couverture, sublime, sur laquelle Abel marche dans la rue, la nuit, et que l’ombre lumineuse de Billie éclaire le mur de briques, résume parfaitement le ton du récit.

Strange Fruit est un album musical témoignant d’une époque charnière de l’Histoire de l’Amérique. C’est un des événements de l’année qui prouve encore une fois que la désormais mythique collection Aire Libre ne commet aucun faux pas.
One shot : Strange Fruit La chanson d’Abel
Genre : Biopic
Scénario : Vincent Hazard
Dessins & Couleurs : A.Dan
Éditeur : Dupuis
Collection : Aire Libre
ISBN : 9791034768523
Nombre de pages : 128
Prix : 26 €