Ciel bleu, temps couverts
« -Plus fort que l’été 36, toute la France sur les routes.
-La France entière se débine, elle fait ses ballots, elle fout le camp.
-Ah elle est belle l’armée française !
-On la cherche justement.
-Jean-Foutre ! En 14 on se battait, nous !
-Toujours et encore le même refrain. «
Juin 1940, c’est la débâcle de l’armée française. Les gradés tentent de préserver un semblant d’ordre. Les avions ennemis lâchent leurs bombes sur les troupes en déroute. Un obus allemand a causé un trou béant sur la route. Le soldat Amédée Videgrain est collé d’astreinte pour faire le planton sur place afin de signaler la présence de l’impact au camion de la Croix-Rouge qui va récupérer les corps des victimes du dernier assaut. Un fois passé, le soldat va rejoindre à moto ses camarades du onzième régiment. Pas facile avec une mécanique défectueuse et sans phare pour ne pas se faire repérer. A la recherche de son bataillon, Videgrain va croiser l’horreur, la désillusion, la mort, le fatalisme, et toutes ces sortes de choses qui sont et qui font la guerre. Où sont donc ses compagnons de galère ? « C’est la question, ils sont là, là, là… En fait, ils ne sont nulle part… Et les allemands partout. »

Dans toute une première partie, Amédée Videgrain est un soldat, uniquement un soldat, ou presque. Les événements tragiques qui s’enchaînent vont lui rappeler sa condition d’humain. Si même les gradés baissent les bras, à quoi bon se battre ? Dans la deuxième partie sous pavillon nazi, Videgrain ne se contente plus d’être un simple spectateur. Il avait… Il a… une vie. Il espère bien qu’un jour les choses rentreront dans l’ordre. Après avoir retrouvé ses camarades, il faut voir dans quel état moral, il va devoir prendre son destin en main pour retrouver sa famille. En racontant la guerre d’Amédée, Pascal Rabaté place le lecteur dans la peau d’un quidam qui se retrouve en situation de guerre et de défaite sur tous les fronts. Et nous, qu’aurions nous fait ? Pour Amédée, avant tout, l’objectif est de survivre. Il le dit lui-même en quittant une maison abandonnée dans laquelle il s’était réfugié : « La survie oui, le pillage non ! »

En 1940, les nazis sont en position victorieuse. L’armée française a subi une déconfiture. Des millions de civils sont en exode. Tout est résumé dans une scène muette poignante où les avions allemands bombardent une colonne de civils. Dans une ambiance blanche et noire aux tons bleutés à la Tardi, Pascal Rabaté signe l’un des récits de guerre majeurs en bande dessinée. A l’origine publié sous forme de diptyque, cette intégrale est publiée à l’occasion des 85 ans des événements. Videgrain est un soldat Lambda. C’est vous, c’est moi, c’est Rabaté, c’est l’espoir malgré tout pour paraphraser Emile Bravo. Videgrain n’est pas un héros. Il a un côté lâche, on le verra vers la fin du récit, mais après tout, ses agissements ne sont pas totalement illégitimes. Ne dit-on pas que la guerre est dirigée par les gradés et subie par les soldats ? Alors pourquoi ne pas reprendre sa liberté de penser ?

A lire avec l’adaptation de Suite française d’Irène Némirovsky par Emmanuel Moynot pour avoir un focus sur le côté « civils », La déconfiture apporte un point de vue « militaire » désabusé sur une tragédie dans laquelle, au final, vainqueurs comme perdants, tout le monde a été victime.
One shot : La déconfiture
Genre : Histoire
Scénario & Dessins : Pascal Rabaté
Éditeur : Futuropolis
ISBN : 9782754847414
Nombre de pages : 216
Prix : 29 €