Allons enfants de la Bretagne
« -En 1962, pour profiter d’une main-d’œuvre pas chère, le Joint Français a délocalisé une partie de sa production en Bretagne… La région était encore très rurale… C’était une aubaine pour des investisseurs. On imaginait les bretons dociles… On pensait qu’il serait facile d’en tirer profit. Tiens ! Tu vois ! Qu’est-ce que je te disais : encore en train de crayonner ! Si le sujet t’inspire, on en reparlera ce soir, au dîner. C’est une sacrée histoire que celle du conflit social qui a éclaté au Joint en 1972, c’est encore très vif dans les mémoires ! »
Arrivée à Saint-Brieuc pour quelques jours de repos, Gwénaëlle apprend que son dernier projet est refusé par son éditrice. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, la jeune femme ne dit rien à son père qui est venu la chercher à la gare. Sur la route pour se rendre à la maison, Gwénaëlle remarque que l’usine du Joint Français a changé de nom. Elle a été rachetée par la société Hutchinson après ses difficultés pour lutter contre une concurrence étrangère qui emploie une main-d’œuvre à bas coût. Belle ironie pour une entreprise qui s’est délocalisée en Bretagne en 1962 pour justement profiter d’employés moins rémunérés. Ses dirigeants imaginaient les bretons dociles. Ce ne sera pas le cas. Il suffira d’une petite dizaine d’années pour qu’éclate, en 1972, un conflit social encore très vif dans les mémoires. Et si la dessinatrice s’emparait du sujet pour en faire son nouveau projet ?

Au fil des jours, Gwénaëlle va compléter les souvenirs de son père par une véritable enquête journalistique pour raconter dans le détail la crise du Joint Français. On va vivre le quotidien des fourmis travailleuses, pour une tâche répétitive et dans une atmosphère polluée. On va suivre la montée des tensions, l’occupation de l’usine et l’entêtement de ses dirigeants. On va apprendre comment la cohésion de toute une région va permettre aux grévistes de mener à bien un combat plus que légitime. On va aussi rencontrer le célèbre chanteur Gilles Servat qui prit part à la révolte, nourri de Brassens et Ferré, avec pour arme une guitare. Le conflit ne va pas s’avérer être seulement celui d’une usine et de ses employés, mais celui de toute une région qui affirme son identité et sa culture.

Plutôt que de faire de l’histoire un récit factuel et rigide, l’autrice Gwénaëlle Régereau choisit la mise en abime. Plutôt que de se contenter d’un compte-rendu journalistique, la scénariste raconte les dessous de la création, comme si on était dans un making-of, un peu à la manière de ce que fait Mathieu Sapin, sauf que lui traite de l’actualité. Elle, s’attache à un événement social historique. La dessinatrice alterne un noir et blanc totalement pur pour les scènes contemporaines avec un noir et blanc coloré de gris pour les scènes d’époque. On se demande ce qu’aurait pu donner l’album si le concept avait été poussé plus loin en colorisant les scènes du présent. Ça aurait été peut-être trop tranché. Au final, Gwénaëlle Régereau a certainement fait le meilleur choix qui permet de profiter de la finesse de son trait extrêmement prometteur, qui marche sur les traces de celui de Virginie Augustin.

Enfin un joint qui ne se fume pas mais qui se lit ! Fidèles à leur défense des actions solidaires et sociales, tout en lançant les auteurs et autrices de demain, les éditions Des ronds dans l’O proposent encore une fois un album témoignage instructif qui montre que la politique du peuple est bien plus intéressante, formatrice et tournée vers l’avenir que la politique politicienne.
One shot : Le Joint Français
Genre : Reportage
Scénario & Dessins : Gwénaëlle Régereau
Éditeur : Des ronds dans l’O
ISBN : 9782374181639
Nombre de pages : 160
Prix : 25 €