Et si on n’en finissait jamais avec Tintin ?
« Si l’album des « Picaros » reste le socle de notre présente démonstration, il est impossible de comprendre la fin programmée de Tintin, son sacrifice psychanalytique, le piétinement de sa perfection, la mise en scène de ses ambiguïtés, sans au préalable, avoir appréhendé le véritable enjeu de Tintin au Tibet. Si cet album mythifié du vivant de Hergé signe magistralement, et en toute discrétion, le début de la fin de Tintin, cette tentative, indigne du génie de Hergé, de thérapie par le dessin, méritait bien d’être commentée à l’aune de l’improbable révolution des « Picaros », et démontrer ainsi, de manière imparable, que Hergé n’avait pas l’ambition de mener son œuvre à son terme pour en justifier la cohérence, mais qu’il était nécessaire pour le créateur de Tintin de proposer un album théoriquement autonome, en l’occurrence celui de Tintin et les Picaros, afin de nous donner les moyens de comprendre que son projet ultime était philosophique. »
Pour bien analyser l’histoire des Picaros, il faut remonter à Tintin au Tibet. Dès le préambule, Jean Dubois envoie valser son analyse trilogique (Bijoux-Vol-Picaros) avec l’ajout d’un quatrième album, mythique, résonnant et raisonnant comme une introduction au triptyque étudié. C’est celui-ci, le Tibet, qui démontre que Hergé a ressenti la nécessité de proposer cet album, « Tintin et les Picaros » pour comprendre la fin de son œuvre. Tintin au Tibet est un album charnière où l’auteur règle ses propres comptes avant l’apaisement, pour « en finir avec la psychanalyse » et atteindre une « ambition philosophique enfin assumée ».

Dubois met en évidence un point de jonction entre les deux albums. Si dans le Tibet, Tintin part pour retrouver Tchang, dans les Picaros, flairant un traquenard, il exprime la volonté de ne pas partir au San Theodoros, où pourtant la Castafiore et les Dupondt sont retenus par un dictateur. Tintin serait-il un personnage plus ambigu qu’on ne le pense ?
Après une fine analyse des états d’âme de Hergé tout au long de la confection de Tintin au Tibet, Jean Dubois démontre comment l’auteur a décidé (et est parvenu ?) à passer « aux choses sérieuses ». Il n’a plus rien à prouver mais tout à démontrer. Les Picaros est la conclusion de cette démonstration, l’histoire où c’est l’aventure qui décide pour Tintin et non Tintin qui décide de partir à l’aventure. Les Picaros est l’album du pardon, celui où Hergé a décidé de ne plus juger ses personnages, de les railler avec tendresse, tout comme il avait rendu les méchants pathétiques dans Vol 714.

Alors qu’avant le Tibet, les albums de Hergé étaient très documentés (au moins à partir du Lotus bleu), la période post-Tibet met en exergue la positivité d’une certaine oisiveté du créateur. Dans les Picaros, Hergé réhabilite les Dupondt, gardes du corps de la diva en tournée, en en faisant les véritables héros de l’aventure. Tintin, lui, ayant changé de costume (exit le pantalon de golf, bonjour le jean) entre dans la banalité et dans une léthargique bienveillance. Pas de vague, Tintin ne veut pas de violence dans cette révolution mais oublie que les détectives sont condamnés à mort. Tintin est rabaissé à la moyenne du genre humain, privilégiant son propre confort au détriment d’une certaine justice.
Tintin finira par se raviser évidemment et rejoindre Haddock et Tournesol au San Theodoros. Tintin a besoin de la volonté de Hergé pour exister. C’est comme ça que l’on comprend son comportement.
Hergé est-il un philosophe qui s’ignore ? C’est la question que se pose l’auteur de l’essai. Hergé est loin de n’être qu’un dessinateur de plus. Pour Dubois, pas de doute : avec les aventures de Tintin, Hergé a écrit le « bréviaire philosophique le mieux dessiné au monde ». Pour Dubois, l’œuvre ne doit pas se relire (uniquement) en souvenir de l’enfance où on l’a découverte, mais en continuant d’extraire son potentiel infini. Dubois fait ainsi sienne la phrase finale de chacune des recensions de Boulevard BD / Boulevard Tintin sur les ouvrages consacrés à l’univers du petit reporter.

La dernière partie de l’essai s’attarde sur les sentiments, autant ceux des personnages que ceux des lecteurs. Il y est question de volonté, avec beaucoup d’émotion, de contradiction, de nostalgie et de non-nostalgie, et enfin de réalité dans une conclusion philosophique qui reconsidère tout l’amour qu’un tintinophile peut avoir pour l’œuvre inestimable de Hergé. Impressionnant.
Longtemps jugé « dispensable », Tintin et les Picaros est réhabilité par l’analyse de Jean Dubois. Sa trilogie En finir avec Tintin ? forme une démonstration du pourquoi du comment de la fin des aventures de Tintin. De la fin ? Et l’Alph’Art dans tout ça ? Nul mot. Jean Dubois n’en tient pas compte. Et s’il se penchait dessus ? Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.


Titre : La véritable révolution des Picaros
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Jean Dubois
Éditeur : 7sans14
ISBN : 9798294460822
Nombre de pages : 168
Prix : 14,90 €