La machine à fantômes
« -J’ai l’impression de ne plus être le bienvenu en ces murs. Vous deviez croire que cela me blesserait davantage. Vous parlez entre vous de ce que je construis sur la côte californienne. Mais vous avez toujours échangé des rumeurs à mon sujet. J’en ai l’habitude. Cela ne m’a jamais influencé ni arrêté. Vous connaissez les cerveaux que j’ai recrutés. Vous avez entendu parler de ma machine. Vous savez que je suis prêt à aller jusqu’au bout. Et ça vous terrifie. »
1981. Un homme est engagé par un autre afin de se rendre à quelques heures au Nord de la ville et retrouver un individu parmi les plus riches du monde qui a fabriqué quelque chose qui ne devrait pas exister et le lui prendre. Dans la villa, le voleur est agressé par le propriétaire alors qu’il vient de trouver « le cœur de la machine ». Après avoir ressenti une intense douleur, il se trouve face à son spectre, avant d’être achevé par le maître des lieux. Quelques années plus tôt, en 1967, ce dernier, nommé Ambrose Everett Hall, intégrait un ordre pour commettre des sacrilèges et chercher des réponses sur l’au-delà, sur la vie après la mort. Il a passé la moitié de son existence et dépensé sa fortune à la recherche de preuves d’un monde des esprits. Il ne gâchera pas une minute de plus avec des délires. Il est certain à présent que la vie éternelle et le monde des esprits n’existent pas et regrette qu’il n’y ait jamais eu de fantômes. Qu’a-t-il donc construit entre 67 et 81 ?

Quelques années plus tard, en 2024, Janie, une agente immobilière, accessoirement mère lamentable qui laisse son bébé seul sur sa chaise haute pendant qu’elle part travailler, est attendue devant la villa d’Ambrose par Vesper Quinn, grande, rousse, lunettes de soleil et ombrelle. L’énigmatique femme doit l’acquérir pour de mystérieux employeurs observant de loin. L’étrange visite va pouvoir commencer. L’originalité de cette maison est qu’il s’agit d’une sorte de machine, complètement analogique, avec six millions de composants, tous commandés par des pavés numériques. Elle nécessite beaucoup d’entretien. L’agence préconise aux propriétaires de payer à l’année des experts en mécanismes et horlogerie en cas de problème. Si l’on éteint le système dans le mauvais ordre, on peut rester bloqué à l’intérieur plusieurs jours. Après avoir consacré la première partie de sa vie à l’occultisme, Ambrose Everett Hall a passé la seconde partie de son existence à construire cette maison dont la pièce centrale présente une sorte de loupe… qui ne montre rien. Vesper a l’air d’avoir des informations. Après avoir assommé Janie et tenté de fuir, elle ne parvient pas à sortir des lieux. Les deux femmes vont rapidement se rendre compte qu’elles ne sont pas seules. A l’extérieur, on peut appeler le maître car ça a commencé !

Ambrose Everett Hall voulait construire une machine capable de fabriquer un fantôme, un vrai fantôme, un prolongement de la vie après la vie. Maintenant qu’il a disparu, le spectregraph est l’objet de bien des convoitises. L’américain James Tynion IV écrit un scénario horrifique original, revisitant le mythe du savant fou. A mi-chemin entre le fantastique et le scientifique, Spectregraph modernise un concept dans un genre nouveau qu’on pourrait presque qualifier de gothique d’anticipation. Le dessinateur anglais Christian Ward déstructure les codes entre des cadrages parfois très géométrique, à l’image de mécanisme d’horlogerie, et des scènes psyché-spectro-déliques dont les courbes et l’évanescence s’opposent à la convention de la planche. Entraînant les scènes vers des ambiances étranges, les couleurs jouent un rôle primordial.

Avec Spectregraph, les éditions Delcourt importent un comics hors du commun. Ovni scénaristique et graphique, l’album est une métaphore de la démesure et de la mégalomanie américaine. On ne joue pas avec les âmes. Ça pourrait s’avérer dangereux.
One shot : Spectregraph
Genre : Fantastique
Scénario : James Tynion IV
Dessins & Couleurs : Christian Ward
Editeur : Delcourt
Collection : Contrebande
ISBN : 9782413088523
Nombre de pages : 168
Prix : 23,75 €