Ah ! Je ris de me voir si musical…
« Satie, Debussy font mes délices. J’adore aussi le jazz et, surtout, la pop-music, avec les sonorités et les rythmes actuels. (…) L’opéra m’ennuie, je l’avoue à ma grande honte. Ou alors il me fait rire, ce qui est encore pire. J’ai l’œil et l’esprit trop critiques : je vois la trop grosse dame derrière la chanteuse, même si elle a une voix admirable, le bellâtre derrière le ténor, le carton-pâte des décors, le fer-blanc des cuirasses… Mais je n’ai jamais vu d’opéra moderne. » (Hergé, entretiens avec Numa Sadoul)
Do-si-la-sol, sol-la-si-do. Par ces suites de notes dans Les cigares du Pharaon, une aventure de Tintin reporter du « Petit Vingtième » en Orient, le petit Philippe Goddin, sept ou huit ans, entend pour la première fois de la musique dans ces illustrés qu’il aime tant. Il ne sait pas encore qu’il deviendra l’un des plus éminents tintinologues. Aujourd’hui, il signe la préface d’un délicieux opuscule signé du non moins éminent tintinologue Renaud Nattiez, épaulé pour l’occasion par son frère Jean-Jacques, musicologue, spécialiste des rapports entre musique, littérature et théâtre lyrique. Les allusions musicales sont nombreuses dans les albums de Tintin, dont la Castafiore n’est que l’arbre qui cache la forêt. Des ouvrages ont été consacrés à ce personnage, mais jamais le sujet n’avait été élargi. Les frères Nattiez réparent le manque en se demandant si Hergé était musicien ?

Les auteurs se penchent sur la façon dont Hergé dessine la musique en disséquant les 198 cases où apparaissent des symboles musicaux dans des phylactères où des personnages chantent plus ou moins juste. Ils vont ensuite se pencher sur L’air des bijoux du Faust par Charles Gounod, au fil des albums, et proposer une réhabilitation politiquement incorrecte de la diva. Enfin, ils vont analyser les autres allusions musicales au fil de l’œuvre, en les classant par genres : opéras, musiques de variété ou de tradition orale, chansons populaires ou enfantines. Du fait de ses déclarations lors d’entretiens, le rapport d’Hergé à la musique était ambivalent. Sa bibliographie permettra-t-elle aux frères Nattiez de démêler le vrai du faux ? C’est en tout cas ce qu’ils vont s’appliquer à faire.

Afin d’être exhaustifs et de rendre aux Césars ce qui leur appartient, les auteurs recensent les ouvrages d’étude qui abordent de près ou de loin le thème de la musique chez Hergé. Ils vont ensuite montrer la façon dont Hergé dessine la musique au sens propre. Il va être questions de croches, de hampes, de dièses et de toutes ces sortes de choses. On comprend ensuite comment le dessinateur appliquait l’adage de Mozart qui, comme d’autres, disait que la musique n’est que répétition et variation, avec un large focus sur le chant favori du rossignol milanais et sur la chanteuse elle-même. Parmi les curiosités de l’essai, on découvre les réponses manuscrites d’Hergé à Marcel Croües pour l’hebdomadaire belge Musique numéro 1 en septembre 1978, témoignant de ses goûts musicaux. Hergé le montrera dans ses albums. Et pas seulement dans Tintin. Les exploits de Quick et Flupke sont largement cités. Instruments, media de diffusion et onomatopées font également partie du recensement effectué ici.

Liée à l’humour, à l’aventure ou au drame, la musique fait incontestablement partie intégrante de son univers. Alors, Hergé musicien ? La démonstration de Renaud et Jean-Jacques Nattiez donne la réponse au terme de ce petit livre fascinant. Comme quoi, après tant et tant d’ouvrages consacrés à cet univers foisonnant clôt depuis si longtemps, on continue à en apprendre. Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.
Titre : Hergé musicien ?
Genre : Ouvrage d’étude
Auteurs : Jean-Jacques et Renaud Nattiez
Préface : Philippe Goddin
Éditeur : PUM Les presses de l’Université de Montréal
ISBN : 9782760651302
Nombre de pages : 96
Prix : 15 €