Entre métaphores et métamorphoses
« -Excusez-moi monsieur l’inca, mais avez-vous votre permis de chasse ?
-Mon permis de chasse ?… Misérable sacrilège, que le feu du ciel s’abatte sur ta tête !…
-Mon dieu, quel cauchemar !… Et c’est ce rayon de soleil qui… Mais, au fait… Ça par exemple ! On m’a laissé dormir !… Capitaine !… Eh bien, Capitaine !… »
D’après le Petit Larousse, le rêve est une suite de phénomènes psychiques (d’images, en particulier) se produisant pendant le sommeil. Par huit fois dans les aventures de Tintin, Hergé va faire rêver ses personnages. Ce sont ces huit séquences que Pierre Fresnault-Deruelle analyse dans cet ouvrage, se posant la question de savoir pourquoi l’auteur a introduit ces vignettes dont le message ne coule pas de source. Fresnault-Deruelle en voit deux raisons. La première est pour montrer que le héros cherche à trouver une vérité qui le perturbe, ou bien, plus superficiellement, fait des passerelles entre la réalité et une séquence onirique. La seconde raison permet à Hergé de réaliser des « broderies narratives » en remettant en cause son tracé ligne claire tout en le maintenant. Bienvenue dans une revisite de l’œuvre de l’artiste par le prisme du rêve.

© Fresnault-Deruelle – Georg
Tout commence dans Les cigares du Pharaon avec l’entrée de Tintin dans la tombe de Kih-Oskh. Un gaz narcotique emporte le héros dans les bras de Morphée. Il se voit flotter dans un sarcophage. Des dieux égyptiens se penchent sur lui. Les Dupondt sont égyptiens. Rastapopoulos et un homme à tête de Milou transportent son corps endormi. Il s’imagine bébé. Nous sommes aux marges d’un surréalisme qui « dé-naïve » le récit.
Le cauchemar est burlesque dans Le crabe aux pinces d’or. Transformé en bouteille de Bourgogne dont sa tête est le bouchon, Tintin s’apprête à se voir vissé sur le crâne le tire-bouchon d’un Haddock assoiffé.

© Fresnault-Deruelle – Georg
Dans la version noir et blanc de L’oreille cassée, un Arumbaya vient souffler une flèche empoissonnée au curare sur le reporter endormi. Tintin a manifestement été perturbé par ses lectures de l’après-midi. Hergé ne gardera pas la séquence dans la refonte de l’album. C’est le même genre de perturbation que connaîtra Tintin dans L’étoile mystérieuse lorsque, assoupi sur un fauteuil, il verra le prophète Philippulus et son gong s’immiscer dans son appartement.
S’il est une séquence de rêve plus célèbre que les autres, une scène emblématique de toute l’histoire du 9ème Art, c’est bien l’irruption de la momie de Rascar Capac dans la chambre de Tintin. Des centaines de petits lecteurs en ont cauchemardé. Semant encore une fois le trouble entre le rêve et une réalité fantastique, la scène atteint la perfection.
Dans Le temple du Soleil, à la recherche de Tournesol, Tintin rêve sur trois cases, en commençant par une scène qu’il n’a pas vécu mais qu’il reconstitue, celle de l’enlèvement du savant. Le rêve se termine quasiment en prophétie. Quand on connaît le dénouement de l’intrigue, on ne peut qu’en voir l’écho. Mais ça, Tintin ne le réalise pas encore.

© Fresnault-Deruelle – Georg
Tintin au Tibet et Les bijoux de la Castafiore sont le cadre de deux rêves cocasses de Haddock. Il y voit dans l’un Tournesol en portefaix et dans l’autre le rossignol milanais en perroquet, à la fois métaphore et métamorphose. Notons que Bianca reviendra dans un cauchemar de Haddock sous les traits d’un pic-vert sur la première planche de L’alph’Art.
Après sa conclusion, en guise de post-scriptum, l’auteur de l’essai analyse rapidement dix situations pouvant s’apparenter aux rêves mais qui n’en sont pas, chez Hergé et quelques-uns de ses admirateurs.

© Fresnault-Deruelle – Georg
En décortiquant huit courtes séquences, avec un vocabulaire parfois exigeant, Pierre Fresnault-Deruelle démontre le rôle essentiel du rêve, résonnant dans toute l’œuvre d’Hergé. Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.
Titre : Les rêves de Tintin
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Pierre Fresnault-Deruelle
Préface : Michel Porret
Éditeur : Georg
ISBN : 9782825710562
Nombre de pages : 224
Prix : 20 €