Allers-retours entre réalité et fiction
« Si un objet mythique des Aventures de Tintin me fascine, ce n’est pas la fusée lunaire et son damier rouge et blanc, ce n’est pas le Carreidas 160, ce n’est pas la boîte de crabe renfermant peut-être de l’opium, ce n’est pas non plus le sceptre d’Ottokar. Le fétiche à l’oreille brisée possède une aura qui n’a pas fini de m’émerveiller et de m’interpeller. Serait-il un personnage à part entière ? » (Patrice Guérin)
Sixième album des aventures de Tintin, L’oreille cassée n’est pas l’album qui a suscité le plus d’analyses. Benoît Peeters et Alain André se sont penchés sur cet album, le préféré de Jacques Martin. Après un premier article paru dans la revue Doryphores ! en 2015, encouragé par Pierre Fresnault-Deruelle, le tintinologue Patrice Guérin revient sur cette œuvre parue pour la première fois en albums en 1937. Qui était Hergé au mi-temps des années 30 ? Quels secrets se cachent derrière la statuette Arumbaya ? Comment l’auteur a-t-il nourri son œuvre ? Voici les questions auxquelles tente de répondre l’essai Hergé face à son fétiche.
Dans la première partie « La mélancolie du fétiche Arumbaya », Patrice Guérin embarque dans une relecture de L’oreille cassée. Après Le lotus bleu, L’oreille cassé n’est que le deuxième album de Tintin au scénario savamment structuré. L’aventure commence en décembre 1935 dans le Petit Vingtième. Une statuette est dérobée au Musée ethnographique et remplacée par une fausse. L’enquête amène Tintin en Amérique du Sud sur fond de conflit armé entre deux pays imaginaires, pendants de la Bolivie et du Paraguay en pleine guerre du Chaco. Ce n’est pas sur ce contexte historique que Guérin va s’attarder, mais sur la figurine de bois elle-même, dont Hergé a pris pour modèle une statuette pré-inca. Il va s’attacher à sa plastique, à son visage symétrique, mis à part l’oreille, à sa bouche inexistante. Guérin l’ausculte sous toutes les coutures. Il visite la chambre de Balthazar, peintre et sculpteur retrouvé mort à son domicile, à la rencontre de son perroquet, témoin de son meurtre, qui va révéler que l’assassin et le voleur ne font qu’un. Guérin multiplie les références cinématographiques et artistiques, de La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock à l’autoportrait de Vincent Van Gogh à l’oreille bandée. L’essayiste met en évidence le côté mortifère de l’épisode avant de revenir sur des traumatismes supposés dans l’adolescence d’Hergé, ainsi que sur un atavisme familial lié à sa mère. Les rapports de l’auteur avec son éditeur Casterman ont aussi eu des influences sur l’œuvre. Epuisé par son travail, Hergé semble s’être projeté dans la statuette…cassée.
1979, le vol du vrai fétiche d’Hergé : quand la réalité rattrape Tintin. La seconde partie de l’essai est le texte publié en 2015 dans Doryphores ! et légèrement amendé. Nous sommes le mercredi 1er août. Il est 16h. un jeune homme dérobe le fétiche de l’exposition Le Musée imaginaire de Tintin au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. On croit à une supercherie de Pierre Sterckx. Hergé propose d’envoyer les Dupondt mener l’enquête. Trois jours plus tard, le voleur propose un rendez-vous à Hergé. Le bandit ne viendra pas. Comment se dénouera l’histoire ? Lisez le livre pour le savoir. Vous pourrez même y découvrir une version bédéssinée en trois planches signées Alain Goffin et Benoît Peeters.
Le livre de Patrice Guérin se conclue autour d’un dessin de Ted Benoit, image imaginaire, relativement dépouillée, dans laquelle un portrait de Tintin a les yeux fixés sur deux fétiches qui marchent, se dirigeant vers ce qui semble être un hall d’entrée. Guérin l’analyse avant de conclure sur la fin même de l’histoire de L’oreille cassée.
Hergé face à son fétiche invite à se replonger dans un album culte, comme tous, des aventures du petit reporter. Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.
One shot : Hergé face à son fétiche
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Patrice Guérin
Éditeur : 1000 sabords
ISBN : 9782494744202
Nombre de pages : 144
Prix : 15 €