Il était une fois en Espagne
« -Le gamin ! Que quelqu’un éloigne le gamin !
-Faut pas qu’il voie sa mère comme ça !
-Allons, Carlitos. J’ai fait de buñuelos. Viens, j’te dis !
-Je m’en occupe, Cecilia !
-Ah, Don Alejandro, Dieu vous bénisse ! Vous arrivez à point nommé ! »
1948. Carlos Moreno Vargas est un jeune homme qui vient de quitter l’Espagne pour la France, espérant y trouver du travail. Dans le compartiment, une dame, Jocelyne, lui propose de travailler pour elle dans son épicerie à Perpignan. Quand ses camarades lui demandent d’où lui vient cette cicatrice qui traverse la paume de sa main gauche, Carlos repense à ce jour où, à Barcelone, il découvrait à huit ans le cadavre de sa mère, assassinée, dans les décombres de sa maison. Il était encore enfant. Son père, lui-même épicier, ne pouvant être très disponible pour lui, la riche famille catalane de Don Alejandro lui offre un second foyer. C’est là où il va lui-même se lacérer la main, tout comme le bas-ventre de sa mère était lacéré d’une croix. Elle n’est que la première victime d’un tueur en série. Il grandit dans une Espagne franquiste avant de quitter son pays natal pour la France où il ne restera pas longtemps. Son père le rappelle. S’il savait…
Comme souvent, c’est dans des périodes politiques troubles que les tueurs en série profitent des désordres publics pour œuvrer. Ils deviennent alors le symbole d’une société sous emprise, en l’occurrence le fascisme franquiste espagnol. Il faudra plus à Carlitos pour l’empêcher de tracer son destin. Il va se marier avec Paula, la fille de Don Alejandro, après s’être enrichi grâce à un trafic de marchandises entre la France et l’Espagne. Il deviendra un riche industriel catalan, n’hésitant pas à s’intégrer du côté obscur de la ville en devenant l’un des principaux artisans de la pègre barcelonnaise. En suivant le destin de Carlitos, on assiste à l’éclosion et au crépuscule d’une époque meurtrie de l’Histoire de l’Espagne, au milieu des politicards, des flics, des putes et des gangsters.
Denis Lapière et Gani Jakupi écrivent une fresque familiale dense. Prévu à l’origine pour une série de six albums, le projet a été reformaté pour un long one-shot publié la prestigieuse collection Aire Libre. Ça se ressent tellement les personnages sont nombreux, avec chacun une personnalité bien définie. Si on regrette la longueur qu’aurait pu prendre la saga collégiale, l’histoire a certainement gagné en efficacité. A la manière des romans d’Armistead Maupin faisant de San Francisco l’héroïne de ses récits, dans un tout autre style, c’est ici Barcelone qui est le personnage principal.
Trois dessinateurs se partagent les illustrations dans une unité parfaite. C’est le manque de disponibilité de Ruben Pellejero (à cause de sa reprise de Corto) qui a conduit au reformatage du projet. Il a cependant pu y participer aux côtés de Martin Pardo et de Eduard Torrents.
Histoire de filiation, histoire d’héritage lourd à porter, histoire de secrets lourds à cacher, Barcelona, âme noire est une histoire dans l’Histoire. Sergio Leone aurait pu en faire un Il était une fois en Espagne.
One shot : Barcelona, âme noire
Genre : Polar
Scénario : Denis Lapière et Gani Jakupi
Dessins & Couleurs : Martin Pardo, Ruben Pellejero & Eduard Torrents
Éditeur : Dupuis
Collection : Aire Libre
ISBN : 9782800162218
Nombre de pages : 148
Prix : 27,95 €