Entretien avec « 7 fils de Tintin »
« Même s’il n’existait que Tintin, la bande dessinée serait justifiée comme art. » (Benoît Peeters)
« Nous avons tous en nous quelque chose d’Hergé, de sa ligne claire, claire et éclairante, belle étoile. » Cette déclaration d’Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, en préface, est indiscutable. Si l’œuvre du maître a marqué tant de générations, c’est qu’elle a quelque chose d’universel et de magique qui atteint tout lecteur en son for intérieur. On peut quitter Tintin. On y revient avec le même plaisir. 600 ! 600, c’est le nombre du jour. Plus de 600 ouvrages ont déjà été consacrés à Hergé et à son œuvre. Alors, pourquoi Renaud Nattiez, éminent tintinologue, en publie-t-il un de plus ? Tout simplement parce que, pour la première fois, l’avenir de Tintin est abordé. Si dans son ouvrage précédent « Faut-il brûler Tintin ? », Renaud Nattiez démontrait qu’il y avait toujours quelque chose à dire sur le sujet, il questionne ici sept fils de Tintin, sept spécialistes de l’univers, sur la pérennité de l’œuvre. Les ventes des albums sont en baisse. Alors que le dernier album achevé est paru en 1976, il y a quarante-huit ans, Tintin peut-il résister à la concurrence ? Intéresse-t-il encore les jeunes lecteurs ?
Le grand interrogatoire débute avec Albert Algoud, qui a signé l’un des best-seller sur le sujet : Le Haddock illustré, dictionnaire des jurons du Capitaine. Il n’a jamais écrit d’ouvrages d’analyse sur l’œuvre elle-même, mais s’est attaché aux personnages avec notamment des biographies de Bianca Castafiore et du Senhor Oliveira da Figueira. Pour lui, qu’importe si Tintin est et sera moins lu par les jeunes. Son auteur restera un grand artiste. Il voit la pérennité du personnage dans l’imaginaire des foules grâce à toutes formes de détournements artistiques.
Auteur de Tintin et le mythe du Surenfant, l’universitaire Jean-Marie Apostolidès disparu il y a juste un an avait une vision plus pessimiste, pensant que la notoriété de Tintin disparaîtra avec sa génération qui est celle de tous les spécialistes interrogés ici. Pourtant, il affirme qu’il y a encore à dire sur le sujet, citant Bertrand Méheust dont les recherches pourraient aboutir sur une nouvelle approche de Tintin, où il est question de métapsychisme et de médiumnité. C’est ensuite au tour de Pierre Assouline, auteur d’une biographie détaillée d’Hergé en 1996, de s’exprimer. Lui, voit le dessin animé et ses rediffusions comme moyen de perpétrer l’œuvre, plus que le cinéma. Assouline a connu Tchang. Il pense qu’il y a encore des choses à dire sur l’œuvre mais qu’il ne faut pas tomber dans la spéculation et les élucubrations.
En milieu d’ouvrage, voici l’entretien avec Philippe Goddin. Biographe et ami d’Hergé, secrétaire général pendant dix ans de la Fondation Hergé, président de l’association Les amis de Hergé, il est certainement l’analyste le plus légitime qui soit. Avec lui, Renaud Nattiez peut se permettre d’aller encore plus loin qu’avec les autres questionnés. Continuer à faire vivre Tintin sans nouveautés est une gageure. Il n’est pas contre une vision parallèle comme a pu le faire Emile Bravo avec Spirou. Mais on marche sur des œufs. Quant aux ouvrages d’analyse, Goddin avoue avoir écrit sur Tintin et le Thermo-Zéro…en attendant « une marque d’intérêt de la part de Nick Rodwell. »
Jacques Langlois prend la suite. Ayant correspondu avec Hergé, l’auteur du Petit éloge de Tintin se positionne en tant qu’observateur. Il partage avec Nattiez l’objectif de lire et de relire Tintin, avant tout pour le plaisir. Langlois s’interroge sur l’intérêt de la parution d’un nouvel album en 2054, lorsque le héros sera tombé dans le domaine public, alors que le gros des tintinophiles aura disparu.
Auteur de la première monographie Le monde d’Hergé, parue fin 1983, année du décès de l’auteur, le pointilleux Benoît Peeters enchaîne, voit en l’absence de nouvel album la force du mythe. Il partage avec Aspotolidès l’émergence possible d’une exégèse originale. Paradoxalement, mais n’est-ce pas lui qui aurait raison, ayant grandi avec le reporter à houppe, Peeters ne s’estime pas légitime pour parler de son avenir.
Les rendez-vous de Renaud Nattiez se concluent avec Numa Sadoul. Il est l’auteur de deux des plus grands livres de référence sur le 9ème Art : Et Franquin créa la gaffe, et Entretiens avec Hergé, publié pour la première fois en 1975. Lui, est clairement pour la sortie d’un nouvel album, mais, à l’instar de ce que préconise Goddin, avec une vision d’auteurs qui projetteraient leur univers sans dénaturer l’original.
Cette chronique n’est que le survol d’un ouvrage qui porte à réflexion. Au fil des entretiens, on s’amuse à imaginer les réponses que l’on aurait apporté soi-même aux questions pertinentes de Renaud Nattiez dont il ne manquerait dans ce livre que l’auto-entretien. Pour une rencontre avec lui, je vous invite à vous rendre sur le site et la chaîne YouTube Boulevard BD pour un grand entretien filmé et illustré avec lui. Pour en finir avec ce « Demain Tintin ? » (mais rien n’est jamais fini avec Hergé et Tintin) , Olivier Roche, rédacteur en chef de l’indispensable Houpette Libérée, signe une postface résumant le propos. Il demande explicitement à Tintinimaginatio, société des ayant-droits gérant l’œuvre, d’ouvrir ses portes aux spécialistes et aux artistes. Ce sont eux qui ont les clefs de ce que sera Tintin demain. En attendant, quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.
One shot : Demain Tintin ?
Genre : Entretiens
Auteur : Renaud Nattiez
Éditeur : 1000 sabords
ISBN : 9782494744127
Nombre de pages : 184
Prix : 20 €