Canaries-Venezuela, des familles à deux bouts du monde
« -Cencio, cette ruine arrivera jusqu’à Caracas ?
-Mais oui, Gloria. T’inquiète pas.
-Tu dis que ça prendra moins d’un mois. J’y croiss pas…
-Mon dieu, Gloria. T’inquiète pas, le capitaine a tout expliqué… La mer est calme en ce moment. On a bien fait de lui donner les six mille pesetas.
-Ah, mijo, on verra comment je m’en sors avec tout ça… Et avec le bébé en route…
-T’inquiète pas. Je vous enverrai de l’argent. Je gagnerai bien ma vie et je rentrerai plus vite que tu crois.
-Ils disent tous ça. »
Garafia, île de la Palma, aux Canaries, 1956. Un groupe d’hommes et de femmes descend en pleine nuit la colline pour atteindre le bord de mer à l’abri des soldats espagnols. Les hommes sont en passe de s’embarquer pour le Venezuela afin de gagner l’argent nécessaire à faire subsister leurs familles. Atteindront-ils l’embarcadère avant de se faire repérer par les guardias, prêts à faire détonner leurs fusils ? Les balles vont siffler mais Inocencio va avoir le temps de monter à bord du bateau, échappant ainsi au franquisme. Aux Canaries, les femmes restent sous le régime de l’oppresseur pendant que leurs maris vont se tuer à la tâche de l’autre côté de l’Atlantique.
Dans un sublime trait épais, avec des visages à l’accent Picasso, Elias Taño raconte un pan méconnu de l’Histoire des Canaries, et par ricochet du Venezuela et de Cuba. Un texte introductif reprend un commentaire de Fidel Castro lui-même. Les migrants canariens ont toujours fait preuve d’humilité. Ils sont venus en Amérique pour travailler et se battre à côté des locaux avec une implication sans faille. Faite de vérités, bien qu’incomplète, Taño compose l’histoire de Garafia par fragments, morceaux de contes et de ragots qu’il comble par son imagination. Cencio est son grand-père. L’homme a fait le voyage deux fois. Son petit-fils a fusionné les voyages dans ce récit. La situation politique et climatique des îles Canaries provoqua ces départs vers le Venezuela. La plupart des hommes enverront régulièrement de l’argent à leurs familles. Certains referont leur vie, sans que leurs proches ne le sachent forcément.
Elias Taño raconte six ans de vies en trois chapitres : le départ, la vie à distance et le retour, la tête basse et le front ridé. La scène finale ne peut en particulier pas laisser insensible. Le dessinateur travaille ses visages de façon très picturale. Il personnifie certains décors comme ces inquiétantes collines où le diable de Tijarafe danse comme dans un labyrinthe macabre. Les aplats de couleurs monochromes scandent les chapitres. Les Canaries sont d’un bleu-vert. Le Venezuela est d’un jaune verdâtre. Quelques éclats de rouge pastel signalent les moments plus dramatiques. On retrouve ces trois couleurs uniques sur une couverture géométrique, véritable composition artistique pensée comme une affiche.
Garafia est à l’origine une commune de montagne située au nord de La Palma dans les Canaries. A présent, c’est un témoignage graphique empreint de l’ADN d’une famille marquée par l’Histoire d’une terre.
One shot : Garafia
Genre : Histoire
Scénario, Dessins & Couleurs : Elias Taño
Éditeur : Rue de l’échiquier
ISBN : 9782374253862
Nombre de pages : 108
Prix : 19 €